Promis comme un défi par la « start-up nation » macronienne de l’époque triomphante, celui du premier quinquennat, l’incroyable pari de restaurer la cathédrale en cinq ans et huit mois sera tenu. Elle rouvrira ses portes au public le 8 décembre. Mais cet exploit doit autant au savoir-faire unique des ouvriers et Compagnons du devoir qu’à un flot exceptionnel d’argent, venu d’une collecte qui a atteint un sommet inégalé de 846 millions d’euros, selon l’établissement public chargé du projet, Rebâtir Notre-Dame.
Cette mobilisation financière, encadrée par une souscription nationale, est historique. En 2020, la Cour des comptes soulignait le caractère inédit des dons, même à l’échelle mondiale. À titre de comparaison, la collecte internationale pour le tsunami de 2004 en Indonésie, pourtant marquée par une solidarité massive, avait atteint 328 millions d’euros, un record à l’époque.
Les grandes fortunes en première ligne
Derrière les 338 086 donateurs recensés officiellement, une réalité plus pragmatique se dessine. L’essentiel du financement est porté par une poignée de grandes fortunes françaises avec en tête de ce palmarès de générosité, Bernard Arnault (LVMH) et la famille Bettencourt Meyers (L’Oréal) ont chacun contribué à hauteur de 200 millions d’euros, couvrant ensemble presque la moitié de la somme totale. Suivent François Pinault et le groupe Total avec 100 millions d’euros chacun. Enfin, une dizaine de grands donateurs – Bouygues, JC Decaux et d’autres – complètent l’effort en offrant chacun plus de 10 millions d’euros. Au total, ces contributions ont permis de rassembler environ 700 millions d’euros.
Les absents de marque
Cependant, deux figures attendues brillent par leur absence : Vincent Bolloré et Pierre-Edouard Stérin, milliardaires connus pour leur catholicisme affiché et leurs engagements pour la chrétienté. Selon les fichiers des grands donateurs, ni l’un ni l’autre n’a participé de manière significative. Un proche de Vincent Bolloré avance prudemment qu’il aurait peut-être donné de manière anonyme, sans grand enthousiasme ni conviction. De son côté, Pierre-Edouard Stérin, sollicité par Libération, n’a pas donné suite.
Cette absence soulève des questions. Bolloré, souvent peu enclin à des actions collectives, et Stérin, pourrait-on penser, auraient pourtant trouvé en Notre-Dame une cause à la hauteur de leurs convictions. Mais leur retrait met en lumière des fractures au sein du catholicisme français. Tandis que des milieux catholiques ultraconservateurs gagnent en influence, notamment par leur proximité avec l’extrême droite, la restauration de Notre-Dame devient le théâtre d’une véritable « guerre de chapelles ».
Un chantier hors normes
La rénovation de la cathédrale a nécessité un peu plus de 700 millions d’euros. Les fonds des grands donateurs ont été débloqués au fil de l’avancement des travaux. La première phase, dédiée à sécuriser la structure pour éviter son effondrement, a coûté 150 millions d’euros, légèrement en deçà des prévisions initiales. Parmi les postes clés : 11 millions pour le traitement du plomb, 4 millions pour le retrait et le stockage des vitraux et de l’orgue, 44 millions pour l’installation des chantiers, et 51 millions pour les travaux de stabilisation.
La seconde phase, centrée sur la restauration elle-même, a absorbé 552 millions d’euros. Il reste encore 150 millions de la collecte, destinés à financer une troisième phase : la rénovation de certaines parties extérieures et de la sacristie du XIXe siècle, aujourd’hui en piteux état.
Ainsi, si Notre-Dame s’apprête à rouvrir ses portes, elle reste bien plus qu’un simple monument. Elle est le reflet des tensions, des solidarités et des enjeux qui traversent la société française.
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